TÉRATOLOGIE VÉGÉTALE

TÉRATOLOGIE VÉGÉTALE
TÉRATOLOGIE VÉGÉTALE

Si, chez les végétaux, les cas tératologique sont fréquents dans la nature, ils passent souvent inaperçus; certains ont attiré cependant l’attention de l’homme par la curiosité de leurs formes et ont fait l’objet de cultures horticoles: fasciation de tiges, d’inflorescences (formes «cristata» des Cactacées, des Celosia ...), disparition partielle du limbe foliaire (formes «dissecta» ou «laciniata» des hêtres, aulnes...).

Contrairement à ce qui se passe dans le règne animal, les cas de tératologie végétale se manifestent non seulement lors du développement de l’embryon, mais aussi au cours du développement dans des tissus en voie de croissance, en particulier au niveau des méristèmes, qu’ils soient végétatifs ou floraux. L’intérêt essentiel de cette discipline est de permettre de comprendre les différentes étapes de la morphogenèse par le jeu des déviations des processus constructeurs.

1. Quelques aspects tératologiques

Une anomalie célèbre qui fut l’objet des études de H. de Vries, reprises plus récemment avec succès par L. Plantefol, est la «torsion de contrainte» (fig. 1) de la cardère (Dipsacus ). Une autre anomalie de la tige, beaucoup plus fréquente, notamment sur des fusains de jardins, est la fasciation: la tige, d’abord cylindrique, s’élargit et s’aplatit en forme de ruban qui se transforme en éventail, puis souvent se dissocie (fig. 1).

Parmi les anomalies tératologiques de la feuille, ont déjà été évoquées les formes «dissecta» ou «laciniata», chez lesquelles une grande partie du limbe foliaire disparaît, tandis que seules les nervures subsistent. Si la dégradation du limbe se fait jusqu’à la nervure principale seulement sur certaines longueurs, la feuille est découpée en segments successifs; on dit qu’elle est «métamérisée». On appelle «ascidie» une feuille dont le limbe, au lieu d’être plat, forme un cornet conique à partir du pétiole.

La fleur présente, vu sa complexité, des possibilités tératologiques variées, dont les virescences, anomalies par lesquelles la fleur réalise un développement intermédiaire entre celui qui lui est normal et celui d’un bourgeon feuillé: des sépales, des pétales, des étamines prennent une allure plus ou moins foliacée; l’ovaire s’ouvre, écartant des carpelles en lames vertes; ou bien les ovules sont profondément transformés, ou bien ils font place à des bourgeonnements.

2. Causes primaires d’une monstruosité

Dans certains cas, la cause primaire est génétique: la torsion de la tige, déjà citée chez la cardère (fig. 1), est une anomalie que la graine transmet fidèlement, la malformation appartient au patrimoine héréditaire. Il en est de même pour les formes «cristata» de Celosia . Mais, dans la plupart des cas, la cause primaire de l’anomalie est accidentelle: elle apparaît lors du développement normal de la plante, pour des raisons locales qu’on ignore très souvent. On peut reproduire expérimentalement quelques anomalies (avec un certain degré de fréquence) par des apports locaux de substances diverses, comme en témoignent de nombreuses expériences: expériences du groupe Debraux-Astié-Coquen, en France, agissant par le 2-4-D et par une longueur anormale du jour; expériences de Zdenek Sladky, en Tchécoslovaquie, utilisant l’hydrazide maléique. On découvre ainsi que les virescences ont des origines très diverses, provoquées soit expérimentalement par voie chimique ou physique, soit par des virus (framboisier, colza), des mycoplasmes (fraisier, trèfle), des Acariens (Solanum dulçamara ). Il existe ainsi des passages graduels entre la tératologie proprement dite et les altérations structurales dues à des parasites; ces dernières, que l’on réunit sous le terme général de cécidies, c’est-à-dire que l’on classe parmi les «galles», sont particulières aux plantes (les animaux ne portent pas de galles).

Toute galle peut être considérée comme une monstruosité. C’est le plus souvent une petite masse gonflée contenant un jeune animal qui y accomplit la quasi-totalité de son développement; de ce fait, l’hypertrophie tissulaire et l’alimentation du parasite par le tissu nourricier en sont les deux caractères les plus fondamentaux; c’est toutefois un troisième aspect des galles qui, parce que commun avec la tératologie, retient seul ici l’attention: l’annulation des vocations normales des organes. Ce fait apparaît dans les galles florales. Au printemps, de nombreuses fleurs de Crucifères, de Papilionacées comme le lotier etc., sont envahies dès le tout jeune âge par des larves de Diptères (Cécidomyides): la fleur ne s’ouvre pas, grossit, donnant un bouton floral géant, contenant des larves de plus en plus grosses.

3. Recherche du processus morphogène altéré

Malgré la multiplicité des causes primaires possibles, le résultat final est souvent le même (cas des virescences). Aussi comprend-on que le tératologiste s’intéresse moins à la cause initiale qu’à son point d’impact dans la morphogenèse, donc au processus morphogène partiel que l’on suppose altéré.

Le phénomène essentiel est, en général, très mal connu: cas des fleurs doubles, ou pléiomères; cas des organes jumeaux, par exemple des fruits jumeaux partiellement soudés dont on ne peut pas toujours dire s’il s’agit d’une soudure secondaire entre deux ébauches initialement indépendantes, ou au contraire de la scission d’une ébauche unique. Par contre, dans certains cas de fasciation, de galles, de virescences, on a pu esquisser le mécanisme de ces anomalies.

Fasciation

Étudiant une fasciation du lierre (fig. 1), Plantefol s’intéresse, d’une part, à la cause primaire de la fasciation (il montre que toute souche de lierre porteuse de fasciations est aussi porteuse de particules virales bien définies) et, d’autre part, et surtout, au processus morphogène: c’est une multiplication des hélices foliaires, qui entraîne l’élargissement de la tige, son aplatissement en ruban, son étalement en éventail. Les hélices foliaires représentent les guirlandes longitudinales de feuilles, droites ou spiralées, qu’on peut reconnaître sur une tige; dans le cas du lierre, ces hélices au nombre de deux sont bien droites, reconnaissables de part et d’autre de la tige. Pour comprendre la fasciation, on étudie l’effet final (éventail) et, de proche en proche, l’effet ruban, l’effet tige robuste et touffue (couverte de feuilles), enfin la tige normale d’où sort la monstruosité. L’origine de l’anomalie est donc dans la tige normale, au moment où elle s’élargit et se charge de feuilles. Plantefol montre que l’élément décisif, entraînant tout le reste, est l’augmentation rapide du nombre des hélices, dû à la scission en deux d’un centre générateur d’hélice, scission qui se manifeste souvent à son début par des feuilles bifides.

Levée partielle d’induction

Le développement d’un organe résulte d’«inductions» successives, c’est-à-dire de l’apport successif à chaque ébauche d’informations désignant, avec une précision croissante, les directions de croissance à prendre, et la nature des différenciations à réaliser. Par exemple, une fleur reçoit d’abord une information générale, qui définit l’ensemble de sa structure (jeune bouton floral); ensuite seulement, chaque ébauche reçoit des informations plus précises: le futur pétale reçoit vocation d’allongement et d’élargissement (d’où l’épanouissement de la fleur); la future étamine, celle d’allongement et de production de pollen; l’ébauche de pistil est orientée vers la production d’ovules.

Dans les galles florales, les très jeunes larves de Diptères entrent dans le tout jeune bouton et y exercent leur action: contre l’ensemble du bouton, déjà façonné, elles sont sans effet; en revanche, elles effacent les inductions non encore réalisées, portées par les diverses ébauches: les pétales restent donc à l’état rudimentaire, les étamines ne s’allongent pas et ne forment pas de pollen; le pistil ne forme pas d’ovules. Par contre, l’ensemble du bouton poursuit sa morphogenèse, et même bien au-delà de la taille normale: il en résulte que les larves de Diptères, devenues adultes (c’est-à-dire prêtes à s’empuper pour la métamorphose), se trouvent dans un bouton floral gigantesque.

Les recherches d’O. Rohfritsch sur des galles par enveloppement (Perrisia galii ) ont montré que le parasite peut apporter lui-même des inductions nouvelles qui façonnent les tissus et les déterminent à envelopper le parasite. En enlevant ce dernier à divers stades de son développement, on peut mettre en évidence son mode d’action par des inductions successives: une première induction, conservée seule, s’explicite par une croissance perpendiculaire considérable; une deuxième induction, ajoutée à la première, engendre une croissance tournante, hypertrophique, sans fermeture de la galle; enfin, une dernière action du parasite provoquera la fermeture de la galle.

Dans les cas tératologiques de l’ovule lors des virescences florales, il s’agit, comme dans celui de la galle de Lotus , d’inductions normalement apportées à la fleur et pouvant être enlevées par les «facteurs hostiles» étudiés (parasites, virus, par exemple, ainsi que produits chimiques, conditions physiques, etc.). Si l’action «hostile» intervient très tôt, toutes les inductions ovulaires sont supprimées, le méristème qui les portait se trouve ramené au niveau d’un méristème végétatif: il pousse alors banalement en tiges et feuilles, chose que l’on voit très souvent dans des virescences, notamment chez les saules. Si l’action est plus tardive, une partie de l’induction ovulaire ne peut être enlevée: le tégument ovulaire se développe en un lobe foliacé portant le massif nucellaire (fig. 2 a); si elle se manifeste encore plus tard, le tégument a eu le temps d’encapuchonner le nucelle et sa partie foliacée est très réduite (fig. 2 b). Enfin, si l’induction a été respectée jusqu’au bout, le tégument est devenu un revêtement jointif du nucelle, tandis que sa croissance foliacée a été totalement inhibée.

4. Interprétation phylogénique

Les morphologistes étudiant des cas tératologiques du présent type concluent très souvent que l’induction primaire, qui apparaît ainsi dans sa plénitude, représente un rappel phylogénique, un retour à un état évolutif antérieur: par exemple, si la première induction du tégument ovulaire conduit à un aspect foliacé, ils en concluent que le tégument ovulaire «est» une feuille, c’est-à-dire qu’il dérive «historiquement» (phylogénétiquement) d’une feuille. Mais l’hypothèse historique ne peut être mise en rapport avec l’expérimentation. Celle-ci analyse les étapes actuelles de la détermination d’un organe, non pas son histoire passée: si la première induction ovulaire oriente le tégument vers un aspect foliacé, on décrit ce fait comme tel, sans aucune évasion vers des reconstitutions historiques, qui ne sont pas accessibles à l’expérimentateur.

On sait que diverses monstruosités animales résultent de la suppression (accidentelle ou expérimentalement voulue) d’une ébauche, en sorte qu’une autre ébauche prend un développement exceptionnel (voir, par exemple, l’origine de la cyclopie: cf. TÉRATOLOGIE ANIMALE). Il existe donc, dans les deux règnes, des cas tératologiques par développement excessif à la suite d’une action négative. Pour le zoologiste, l’action négative, enlevant une ébauche, laisse une place très large à une autre ébauche normalement limitée. Pour le botaniste, la notion est plus délicate: elle implique l’enlèvement de ses déterminations tardives d’une ébauche, laissant ainsi aux inductions primaires de la même ébauche la liberté de s’expliciter pleinement, le plus souvent exagérément, d’où l’aspect monstrueux.

Dans les deux règnes, la génétique du développement dont les progrès sont analysés dans les articles ONTOGENÈSE a donné une impulsion nouvelle à l’étude du déterminisme des mécanismes morphogénétiques. Elle contribue à l’interprétation des interactions entre les vocations successives, de plus en plus précises, reçues par les ébauches.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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